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Pikes Peak : La Course Vers les Nuages qui Défie l'Impossible


Une Montagne, Une Légende, Un Siècle de Folie

Au cœur des Montagnes Rocheuses du Colorado se dresse un défi que les pilotes du monde entier considèrent comme l'Everest de la course automobile. La Pikes Peak International Hill Climb, surnommée "The Race to the Clouds" (La Course vers les Nuages), n'est pas une course comme les autres. Depuis plus d'un siècle, cette montée mythique de 19,93 kilomètres parsemée de 156 virages transforme les plus braves en légendes et les moins chanceux en anecdotes.

L'histoire commence en 1806 avec le lieutenant Zebulon Pike, qui découvrit ce sommet de 4 302 mètres en jurant que jamais l'homme ne pourrait le gravir. Un siècle plus tard, non seulement l'homme l'avait conquis, mais il s'apprêtait à en faire le théâtre de l'une des courses les plus spectaculaires et dangereuses au monde.


Les Origines : Quand un Hôtelier Invente une Légende

Spencer Penrose, propriétaire du luxueux Broadmoor Hotel de Colorado Springs, fut l'architecte de cette folie automobile. En 1915, cet entrepreneur visionnaire obtient l'autorisation de transformer l'étroit chemin de carrioles en une route carrossable, investissant l'équivalent de 7 millions de dollars actuels dans ce projet pharaonique. Mais Penrose ne se contente pas de construire "la plus haute autoroute du monde" : il imagine une course pour la faire connaître et attirer les touristes dans son hôtel.

Le 12 août 1916, Rea Lentz, un jeune pilote de Seattle âgé de seulement 22 ans, entre dans l'histoire en remportant la première édition au volant d'une Romano Demon Special. Avec un temps de 20 minutes et 55 secondes, ce petit gabarit pilotant la plus petite voiture engagée devance tous les favoris devant quelques milliers de spectateurs médusés. Ironie du sort, ce premier vainqueur disparaîtra ensuite complètement des radars du sport automobile, laissant son nom gravé à jamais dans l'histoire.


L'Âge d'Or des Pionniers : Les Unser, une Dynastie de la Montagne

Si Pikes Peak a une famille royale, c'est incontestablement celle des Unser. Cette saga automobile débute en 1929 avec Jerry Unser, le patriarche, qui inaugure une domination familiale qui s'étendra sur près d'un siècle. Mais c'est son fils Louis Unser Jr., surnommé "Uncle Louie", qui marquera vraiment l'histoire en remportant l'épreuve à neuf reprises entre 1934 et 1953.

Louis Unser détient d'ailleurs un record assez cocasse : il reste le plus vieux vainqueur d'une course IndyCar, ayant triomphé à Pikes Peak en 1953 à l'âge vénérable de 57 ans, 5 mois et 22 jours. Une performance d'autant plus remarquable qu'il continuera à courir jusqu'en 1965, prenant le départ à 69 ans !

Son neveu Bobby Unser prendra magnifiquement le relais, s'imposant treize fois sur la montagne entre 1957 et 1986. Bobby, triple vainqueur des 500 Miles d'Indianapolis, considérait Pikes Peak comme son "jardin privé". Il détient le record de victoires consécutives avec six succès d'affilée, série qui ne s'arrêtera qu'en... restant dans la famille, son frère Al Unser prenant le relais.

L'anecdote la plus savoureuse de l'époque Bobby Unser reste celle de 1986 : après douze ans d'absence, il revient à 52 ans au volant d'une Audi Quattro pour battre le record de sa propre tante, Louis Unser, et prouver qu'un Unser ne vieillit jamais vraiment !


Les Européens Débarquent : Quand l'Ancien Monde Découvre la Montagne

Les années 1980 marquent l'arrivée des constructeurs européens, transformant cette course essentiellement américaine en terrain de jeu international. Audi ouvre le bal en 1985 avec une certaine Michèle Mouton au volant de sa redoutable Sport Quattro S1. La Française, seule femme à avoir été vice-championne du monde des rallyes, s'impose avec panache en établissant un nouveau record de 11 minutes et 25 secondes.

L'histoire raconte qu'avant la course, Mouton fut sanctionnée par les commissaires pour "excès de vitesse" lors des liaisons... Elle dut donc prendre le départ ceinturée, sans vitesse engagée, avec l'aide de ses mécaniciens. Une pénalité qui ne l'empêcha pas de dominer tous ses adversaires masculins !

L'année suivante, Bobby Unser reprend son bien, mais en 1987, Walter Röhrl inscrit son nom au palmarès avec l'Audi Sport Quattro S1, pulvérisant le record d'Unser de près de 22 secondes avec un temps de 10 minutes et 47 secondes. Cette performance marque l'entrée de Pikes Peak dans l'ère moderne des superlatifs techniques.


L'Épopée Vatanen : Quand le Cinéma Rejoint la Réalité

1988 restera gravé dans les mémoires grâce à Ari Vatanen et sa Peugeot 405 T16. Le Finlandais, champion du monde des rallyes 1981, livre l'une des performances les plus spectaculaires de l'histoire de Pikes Peak. Mais ce qui rend cette montée légendaire, c'est le film "Climb Dance" réalisé par Jean Louis Mourey.

Les images de Vatanen pilotant d'une seule main sa 405 rugissante, se cachant du soleil avec la main droite tout en contrôlant les soubresauts de sa machine de la gauche, sans jamais lever le pied, sont devenues mythiques. Ce court-métrage primé dans plusieurs festivals internationaux a contribué à faire connaître Pikes Peak au grand public mondial.

L'anecdote veut que ces images spectaculaires aient été tournées non pas pendant la course officielle, mais lors d'une montée d'essai à l'aube, avec une lumière parfaite mais un soleil aveuglant qui obligeait Vatanen à ce pilotage à une main devenu iconique !


L'Ère Loeb : Quand la France Écrase la Concurrence

En 2013, Sébastien Loeb débarque à Pikes Peak avec un objectif clair : pulvériser tous les records. Le nonuple champion du monde des rallyes dispose pour l'occasion d'un monstre technologique : la Peugeot 208 T16 Pikes Peak développant 875 chevaux pour seulement 875 kilos.

Loeb réalise l'exploit d'établir un temps de 8 minutes, 13 secondes et 878 millièmes, devenant le premier pilote à descendre sous la barre des 8 minutes et 30 secondes. Sa performance bénéficie d'un avantage non négligeable : pour la première fois dans l'histoire de l'épreuve, la totalité du parcours est goudronnée depuis 2012.

Cette modification majeure divise les puristes. Certains regrettent l'époque héroïque où les pilotes devaient composer avec un mélange de bitume et de terre, ces fameux "travers de porc" qui rendaient le spectacle si authentique. D'autres saluent cette évolution qui permet des performances techniques inouïes.


La Révolution Électrique : Quand Tesla Défie Detroit

L'arrivée des voitures électriques à Pikes Peak marque une révolution technique majeure. Contrairement aux moteurs thermiques qui perdent environ 1% de puissance tous les 100 mètres d'altitude, les moteurs électriques conservent leur couple et leur puissance jusqu'au sommet.

En 2015, le Néo-Zélandais Rhys Millen crée la sensation en remportant sa catégorie au volant d'une Drive eO PP03 développant 1 mégawatt de puissance. Cette victoire historique d'une voiture électrique marque un tournant dans l'histoire de la course.

Mais c'est en 2018 que l'impensable se produit : Romain Dumas et la Volkswagen I.D. R pulvérisent littéralement tous les records. Avec un temps de 7 minutes, 57 secondes et 148 millièmes, la machine électrique allemande devient non seulement la première voiture à descendre sous les 8 minutes, mais elle devance de 16 secondes le record "toutes catégories" de Loeb.

Cette performance révolutionnaire prouve la supériorité des moteurs électriques en altitude et ouvre une nouvelle ère pour Pikes Peak.


Monster Tajima : Le Samouraï de la Montagne... Impossible d'évoquer Pikes Peak sans mentionner Nobuhiro "Monster" Tajima, ce pilote japonais qui a fait de cette course sa spécialité. Depuis ses débuts en 1988, Tajima a remporté l'épreuve à neuf reprises, devenant une véritable légende vivante.

Sa domination atteint son apogée en 2011 avec un temps de 9 minutes et 51 secondes au volant de son Suzuki SX4 Hill Climb Special développant plus de 920 chevaux. Tajima, aujourd'hui âgé de plus de 70 ans, continue de participer à l'épreuve avec la régularité d'un métronome, incarnant l'esprit de Pikes Peak : la passion avant tout.


Les Histoires Insolites : Quand Pikes Peak Inspire les Originaux

Pikes Peak a toujours attiré les excentriques. L'histoire la plus cocasse reste celle des "Peanut Pushers", ces originaux qui ont eu l'idée saugrenue de pousser une cacahuète jusqu'au sommet avec leur nez ! Le premier, Bill Williams, réalisa cet exploit délirant en 1929 après avoir perdu un pari. Le rockabilly Ulysses Baxter établit le "record" en huit jours en 1963, performance qui lui valut une invitation dans l'émission télévisée "I've Got a Secret".

Plus tragique, l'histoire de M. et Mme William Skinner en août 1911 rappelle que la montagne ne pardonne pas. Ce couple de touristes, ignorant les avertissements météorologiques, entama l'ascension à pied et fut retrouvé mort de froid au lieu-dit Windy Point.


Les Drames : Quand la Montagne Réclame son Tribut

Pikes Peak a connu son lot de tragédies, rappelant que derrière le spectacle se cache un danger permanent. L'édition 2019 fut endeuillée par la mort de Carlin Dunne, quadruple vainqueur de l'épreuve en catégorie moto. Le pilote américain de 36 ans trouva la mort à quelques centaines de mètres de l'arrivée au guidon du prototype Ducati Streetfighter V4, alors qu'il était en passe de battre le record.

Cette tragédie, la septième de l'histoire de l'épreuve, rappelle que Pikes Peak reste l'une des courses les plus dangereuses au monde, avec ses ravins de 600 mètres de profondeur et ses portions sans garde-fous.


L'Évolution Technique : Des Carrioles aux Fusées

L'évolution technique des machines engagées à Pikes Peak reflète un siècle de progrès automobile. Des premières voitures de 1916 développant quelques dizaines de chevaux aux monstres actuels frôlant les 1000 chevaux, le spectacle n'a cessé de gagner en intensité.

La Bentley Continental GT3 Pikes Peak de 2021 illustre parfaitement cette surenchère technologique. Cette machine développe 760 chevaux et 1000 Nm de couple, soit plus de puissance que bien des voitures de Formule 1 des années 1980. Son aérodynamique extrême, avec des appendices dignes d'un vaisseau spatial, témoigne de l'acharnement des ingénieurs à dompter les lois de la physique.


La Météo, l'Adversaire Imprévisible

À Pikes Peak, la météo constitue souvent le plus redoutable des adversaires. Les pilotes peuvent partir sous un soleil radieux à 2865 mètres d'altitude et arriver dans la neige et le brouillard au sommet. Ces conditions changeantes ont provoqué bien des retournements de situation.

L'édition 2021 en témoigne parfaitement : une météo capricieuse a considérablement perturbé la course, prouvant que même avec la technologie moderne, Dame Nature garde le dernier mot.


L'Héritage et l'Avenir

Aujourd'hui, Pikes Peak continue d'attirer les constructeurs du monde entier. Volkswagen, après son exploit de 2018, a ouvert la voie à une nouvelle génération de prototypes électriques qui repoussent sans cesse les limites du possible.

La course reste fidèle à son esprit pionnier : chaque année apporte son lot d'innovations techniques et de performances inédites. Les temps continuent de chuter, les vitesses d'augmenter, mais l'essence même de Pikes Peak demeure inchangée : un homme, une machine, une montagne, et la quête éternelle de la perfection face au chronométro.

Centenaire en 2016, la Pikes Peak International Hill Climb n'a rien perdu de sa magie. Elle demeure cette "course vers les nuages" unique au monde, où se mélangent génie technique, courage physique et folie pure. Un défi que Spencer Penrose lui-même n'aurait jamais imaginé aussi grandiose quand il organisa cette première course pour faire connaître son hôtel.

Dans cette époque où tout semble normalisé, Pikes Peak conserve son côté sauvage et imprévisible qui en fait l'une des dernières aventures authentiques du sport automobile mondial. Une montagne, une route, un chrono : la simplicité absolue pour l'une des épreuves les plus complexes et spectaculaires qui soient.


 
 
 

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